LES P’TIS MOUTONS
Aujourd’hui les petits moutons sont dans la rue, ils protestent …
Là, trop c’est trop ! Y a quand même des moutons qui ont exagéré , les loups s’approchent un peu trop près des bergeries !
Ah oui ? Vraiment ? Je crois bien que les ptits moutons auraient du être plus attentifs à l’école des moutons ! Ils auraient du écouter davantage les cours d’histoire et de géographie de leur Vaste Pré, ils auraient pu être plus attentifs en sciences, en éducation civique, en philosophie, en poésie, en musique, en peinture … Tous ces enseignements donnés (plus ou moins bien) par les professeurs Moutons devaient leur faire comprendre que le monde ne se limite pas au bout de leur champ, que la Terre est belle parce qu’elle est couverte de prés occupés par des moutons différents les uns des autres…
Mais alors que certains ne voulaient que des bonnes notes en maths et en moutonais afin de pouvoir entrer dans les Grandes Ecoles des Grands Moutons comme papa et maman ( c’est comme ça chez les Grands Moutons, on suit les traces de ses ancêtres…) d’autres ne voulaient rien, ne pouvaient rien, ne voyaient rien et n’avaient même pas envie de suivre les traces de leurs parents ( c’est comme ça chez certains petits moutons quand on ne veut pas on ne peut pas … quand on ne sait pas on ne peut pas …)
Les Grands Moutons ont compris très jeunes que le monde est un formidable terrain de jeu , ils s’appuient sur leurs différences pour se rendre de plus en plus forts et ils ont trouvé une cause commune à tous : ils ont le même Dieu- Argent pour lequel ils n’hésitent pas à sacrifier tous les petits moutons du monde . Aujourd’hui les petits moutons sont dans la rue, ils protestent …
Là, trop c’est trop ! Y a quand même des moutons qui ont exagéré , les loups s’approchent un peu trop près des bergeries… et même pas de berger pour les protéger ! on croirait même que le Grand Berger ne sait plus quoi faire face à la Grande Louve …
Les petits moutons vont devoir se ressaisir, se défendre eux-mêmes. Ils vont devoir se réapprendre leur Histoire, chercher dans leur passé ce qui les a ammenés là, analyser, réfléchir, penser par eux- mêmes.. Devenir un peu moins … mouton ET NE PAS CRAINDRE D’AFFRONTER LES LOUPS ! Petits moutons mes amis je suis à vos côtés !
Signé : le petit poisson rouge encore plus rouge de honte et de colère.
A B C
Il était une fois, aux temps très lointains de nos ancêtres
communs, deux enfants qui s’aimaient. A cette époque
l’humanité était nomade et balbutiante. Les hommes et les
femmes n’étaient pas très causants mais ils
communiquaient entre eux. Quand ils avaient quelque
chose à se dire, ils dessinaient sur les parois des grottes,
des cavernes, des montagnes ou des rochers. Leurs
dessins étaient clairs, explicites.
Par exemple pour se prévenir les uns les autres qu’un
troupeau de bisons arrivait, ils dessinaient des bisons.
Tout le monde comprenait ! On allait pouvoir manger, se
vêtir, se chauffer ! Grâce aux peintures rupestres les
informations circulaient entre les groupes, tout un chacun
pouvait émettre et recevoir des messages. C’était comme
cela qu’on était au courant de la marche du monde. C’était
ainsi que les hommes, malgré les distances qui les
séparaient, étaient reliés entre eux. Malgré leur difficulté à
parler nos aïeux avaient trouvé le moyen de faire circuler la
parole.
Nos deux enfants qui s’aimaient s’étaient rencontrés lors du
grand rassemblement de toutes les tribus du Sud. Ils étaient
venus là avec leurs parents pour célébrer la fin du Grand
Froid. Parmi tous les garçons qui dansaient et chantaient le
retour du Disque de Chaleur elle le vit et sut que c’était lui.
Parmi toutes les filles qui dansaient et chantaient à la gloire
du Grand Astre d’Or il la vit et sut que c’était elle… Ils se
virent, ils s’aimèrent. C’était inexplicable, c’était encore
indicible mais c’était ainsi.
Ils n’étaient pas de la même tribu et lorsqu’à la fin des
festivités ils se séparèrent ils se promirent de se laisser des
messages partout où ils passeraient et n’avaient plus qu’une
hâte : se revoir . Je vous laisse deviner ce qu’ils pouvaient
bien dessiner pour se dire « je t’aime, je t’adore, je
m’ennuie sans toi, vivement le prochain rassemblement !
Moi aussi je t’aime, je ne pense qu’à toi jour et nuit. » Enfin
vous voyez, toutes ces choses que tous les amoureux de
tous les mondes, de toutes les époques se disaient, se
disent, se diront … C’était simple, naïf même. Tous ceux et
celles qui voyaient leurs traces pouvaient lire et
comprendre ce que nos tourtereaux se promettaient.
Chacun, chacune y allait de son commentaire en grognant :
« S’aimer ? Jamais entendu parler de ça ! »
« S’aimer toute la vie ! Mais qu’est ce que ça veut dire ? »
« Quelle drôle d’idée ! Ah ! Ces jeunes qu’est ce qu’ils ne
vont pas inventer ! »
Plus le temps passait, plus leur attachement prenait de
l’ampleur. Plus l’éloignement durait, plus la passion
croissait. Le manque devenait intolérable, insupportable.
Les dessins eux s’enrichissaient…. Je vous laisse à
nouveau deviner :
« Je te veux ! Tu me manques trop ! Je te fais des bisous
partout partout ! Moi aussi ! … » Enfin ,vous voyez bien…
Les images devenaient de plus en plus osées, elles
choquèrent les anciens. Les Sages de toutes les tribus du
Sud durent tenir un conseil extraordinaire :
– Qu’est ce que ces deux là nous font encore comme
bêtise ?
– Il faut faire cesser cet échange !
– On n’a jamais vu ça !
– Depuis quand les mâles et les femelles s’aimeraient
ils ?
– Quelle effrayante inconnue que ce sentiment qui
semble lier ces deux petits !
– C’est une nouvelle maladie !
– Ils risquent de contaminer les autres !
– Il faut leur interdire d’écrire !
– Mais qu’est ce qui leur arrive ?
– Pourquoi se disent-ils tout cela ?
– Ils sont devenus fous !
– Pourquoi n’avons nous jamais attrapé ce mal ?
– C’est vraiment impossible à comprendre et cela
pourrait être dangereux pour notre survie , je
demande au Conseil de dire aux parents de faire
cesser cela !
C’était la première fois qu’on parlait tant ! Une vraie
révolution ! Pas un de tous les membres du Grand Conseil
des Anciens ne sut voir que le premier sentiment du monde
était né . Il fut interdit à nos deux amoureux de se laisser
des messages.
Au Grand Rassemblement suivant les deux enfants se
retrouvèrent. Comme ils étaient heureux de se revoir, de se
sentir, de se toucher, de se goûter à nouveau, d’entendre la
voix de l’autre ! Leur joie était assombrie par leur future
séparation qui aurait lieu dans quelques jours à la fin de la
Grand Fête. Avant de se quitter ils décidèrent de passer
chaque moment ensemble à tracer des signes qui ne
ressembleraient à rien mais qu’eux seuls pourraient
comprendre, des symboles qui leur permettraient de se
laisser des messages que personne d’autre qu’eux ne
pourrait lire. Leur tendresse devait rester secrète, il en allait
de sa survie. Malgré l’interdit parental ils pourraient
continuer ainsi à se parler d’amour. Ils tracèrent des traits,
des lignes, des ronds, des carrés, des obliques.
Pour chaque tracé ils se mirent d’accord sur la signification.
A , je t’aime mon amour. B, bisous partout, C, chéri je te fais
mille caresses . C’est ainsi que l’alphabet est né. Plus tard,
beaucoup plus tard,on appellerait ces signes des lettres …
Au début ils n’eurent besoin que de trois signes puis peu à
peu ils éprouvèrent des sensations nouvelles qui leur fit
découvrir le F de frissons puis le L de lèvres et plein
d’autres qui leur permettaient de se déclarer leur flamme …
Un jour, enfin, ils furent assez grands ! On les maria. Ils
firent beaucoup d’enfants à qui ils apprirent leur langage
secret. Leurs descendants se le transmirent puis, selon
leurs besoins, leurs priorités, le firent évoluer. Ils fondèrent
de nouvelles familles qui s’implantèrent partout dans le
Grand Univers. Chaque région du Vaste Monde était
particulière, il n’y avait pas des grottes partout.
C’est pour cela qu’ils prirent d’autres supports, qu’ils
utilisèrent d’autres outils pour se laisser des messages.
Certains d’entre eux combinèrent les signes entre eux car
plus la vie sur terre devenait compliquée plus le code se
complexifiait. Une des tribus descendante des créateurs du
code se fit marchande, elle avait besoin de symboles pour
noter ses échanges, compter ses richesses. Elle inventa
d’autres signes qu’elle nomma chiffres. Elle utilisait de plus
en plus cette nouvelle trouvaille jusqu’à en oublier le sens
du code originel …
Cette tribu est devenue très puissante de nos jours …
Il m’arrive souvent de penser à ces deux enfants des temps
reculés, les premiers amoureux du monde. Je suis certaine
qu’ils seraient trop tristes de voir cette évolution de leur
merveilleuse invention qui servait à dire l’amour, la joie, le
bonheur d’être ensemble. Je suis persuadée qu’ils ne
seraient pas fiers de ces enfants terribles qui ont inventé le
E d’économie ou le G de guerre. Ils seraient même furieux à
mon avis s’ils apprenaient que le A d’amour s’est changé en
argent , que le B de baiser est devenu le B de banque et
que le C de câlin s’est transformé en C de capital.
Chaque fois que je ferme les yeux je les vois, main dans la
main, traçant sur les parois du monde le A de amour et le
P de paix.
FIN